01/10/2025
Nos travaux de recherche et développement portent sur de nouvelles approches, en lien avec les besoins des organisations et en collaboration avec des acteurs publics, privés et associatifs.
L’analyse du cycle de vie (ACV) est aujourd’hui la méthode de référence pour évaluer les impacts environnementaux et sociaux potentiels d’un produit, d’une entreprise ou d’un territoire. Elle prend en compte l’ensemble du cycle de vie et adopte une approche multicritère.
Coupler l’ACV avec le cadre des limites planétaires change l’échelle de décision. On ne se limite plus à comparer un produit/système avec un autre, mais on cherche à savoir si les impacts générés restent soutenables au regard des limites planétaires. Jusqu’ici, l’ACV est majoritairement appliquée à l’échelle des produits : elle permet de comparer une alternative avec un équivalent existant ou concurrent. Cette approche relative est utile, mais elle ne tient pas compte des volumes ni des seuils absolus à respecter. On ne peut donc pas dire si un produit ou un service est réellement soutenable. Et souvent, la réponse est non.
Depuis 10 000 ans, pendant l’Holocène, la Terre a connu une stabilité climatique et écologique qui a permis aux sociétés humaines de se développer. Mais depuis la révolution industrielle, les activités humaines exercent une pression croissante sur les équilibres naturels, avec un risque de dérèglements irréversibles.
Les combustibles fossiles et l’agriculture intensive comptent parmi les principales causes. Ils peuvent altérer profondément les systèmes de régulation dont dépend l’équilibre de la planète ; un équilibre que l’Holocène aurait normalement dû maintenir pendant encore des milliers d’années.
Pour répondre à ce constat, des chercheurs du Stockholm Resilience Centre ont proposé en 2009 le cadre des limites planétaires. Celui-ci définit 9 grands processus écologiques et des seuils à ne pas dépasser afin de maintenir la Terre dans un état sûr pour l’humanité (on parle de Terrain de jeu planétaire ou de Safe Operating Space) :
Parmi ces processus, le changement climatique et l’érosion de la biodiversité sont considérés comme les plus critiques, car ils peuvent à eux seuls faire basculer le système terrestre.
Figure 1 : évolution de la température moyenne sur Terre depuis 100 000 ans (Source : Planatery Bounderies : Exploring the Safe Operating Space for Humanity – Rockström et al, 2009)
Figure 2 : présentation des 9 processus écologiques clés pour la France (après mise à jour de 2023) - Source : CGDD
Aujourd'hui, 7 des 9 limites planétaires ont été déjà été franchies, la dernière en date étant l'acidification des océans (septembre 2025).
Chaque limite est associée à une ou des variables de contrôle et à une valeur seuil. Si ces seuils sont dépassés, le système peut changer d’état brutalement, avec des conséquences majeures pour l’humanité.
Ce concept des limites planétaires (ou planetary boundaries, terme qui reflète mieux la réalité physique), s’impose désormais comme une véritable boussole mondiale pour évaluer la soutenabilité des activités humaines.
Le concept a aussi inspiré d’autres approches, comme celle de Kate Raworth en 2012 avec la théorie du Donut, qui ajoute une dimension sociale : garantir un plancher social tout en respectant le plafond écologique.
Figure 3 : Représentation du Donut - Raworth K., 2012
L’objectif est de se situer dans le trou du Donut, entre le plancher social et le plafond écologique défini par les limites planétaires, dans « l’espace sûr et juste pour l’humanité ».
L’analyse du cycle de vie (ACV) permet d’évaluer des impacts. Les limites planétaires définissent ce que la Terre peut supporter. Associer les deux donnent naissance à une ACV absolue ou AESA, pour Absolute Environmental Sustainability Assessment.
Deux grandes approches existent pour réaliser une AESA :
Cette descente d’échelle de la seconde approche suppose de définir des règles d’allocation : quelle part du budget écologique mondial peut être attribuée à un secteur, une activité ou un produit donné ?
Depuis 2015, plusieurs centaines de publications scientifiques ont abordé cette question. En 2024, une revue globale a synthétisé l’état des recherches et souligné le potentiel de l’ACV limites planétaires pour orienter la gouvernance mondiale et les stratégies d’entreprise.
En résumé, cela pousse à repenser la soutenabilité des activités humaines non plus seulement à l’échelle locale ou comparative, mais dans le cadre des limites planétaires à ne pas dépasser collectivement. Et intégrer les limites planétaires dans l’ACV permet d’éviter des approches trop étroites (p. ex : se focaliser uniquement sur le climat) et de considérer l’ensemble des enjeux environnementaux interdépendants.
L’ACV limites planétaires peut s’articuler avec d’autres méthodes et concepts :
Exemple France
En 2023, l’empreinte carbone de la France s’élève à 644 MtCO₂e, soit 9,4 tCO₂e par habitant (en intégrant les importations). Or, selon les travaux de Bjorn et al. (2015), le seuil soutenable serait d’environ 985 kgCO₂e par personne et par an.
Cela signifie qu’il faudrait diviser l’empreinte carbone moyenne par près de 10 pour respecter la limite planétaire du climat.
Ce seuil est discutable, car l’approche retenue par Bjorn est celle de l’égalitarisme. Cela signifie que chaque être humain sur Terre disposerait du même budget carbone, alors que les niveaux de vie et de développement sont très inégalitaires.
Échelle numérique
La fabrication et l’utilisation d’un smartphone standard génèrent environ 55 kgCO₂e sur l’ensemble de son cycle de vie.
Dans un scénario de sobriété numérique, le budget carbone individuel consacré au numérique devrait représenter 5 à 8 % du total annuel, soit environ 65 kgCO₂e par personne (pour rappel, le seuil par personne est de 985 kgCO2e tout compris).
Un smartphone conservé 2 ans correspond à 27,5 kgCO₂e/an, ce qui représente déjà près de la moitié du budget carbone numérique annuel.
Ainsi, l’ACV couplée aux limites planétaires ouvre la voie à des évaluations plus exigeantes et plus justes. Elle replace les activités humaines dans un cadre global de soutenabilité et éclaire les choix à faire, que ce soit à l’échelle d’un produit, d’une entreprise ou d’un territoire.
Mike Nunes, chef de projet ACV et éco-conception chez EVEA
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